Les pays qui ont franchi le pas de la légalisation du cannabis rencontrent des obstacles et des barrières qui réduisent cette liberté de consommation à une véritable chimère. L’Uruguay, à la tête de la normalisation du cannabis à des fins récréatives, se trouve confronté au secteur bancaire, qui, par crainte de représailles de pays étrangers, ne s’implique pas dans les pharmacies qui vendent du cannabis et menacent de fermer leurs comptes courants. D’autre part, l’Australie, pays où l’usage thérapeutique a été légalisé, se trouve face à un enchevêtrement bureaucratique rendant difficile l’accès aussi bien aux patients qu’aux médecins.

La légalisation du cannabis est encore un chemin difficile. Ces pionniers rencontrent des problèmes même après avoir obtenu ce qui semblait le plus difficile : avoir changé la loi. Dans le cas de l’Uruguay, cela va au-delà de sa souveraineté nationale, puisque les lois des autres nations et la crainte de sanctions internationales entrent en jeu. C’est une chose à laquelle le gouvernement ne s’attendait pas, et qu’il devra pourtant résoudre s’il ne veut pas perdre tout son investissement et les progrès accomplis. Les australiens, pendant ce temps, font face à la bureaucratie pour obtenir du cannabis médical.

Le système bancaire de l’Uruguay, en guerre contre le cannabis

Depuis le 19 juillet, plusieurs pharmacies en Uruguay peuvent vendre du cannabis à des fins thérapeutiques ou récréatives. La mesure a remporté un succès total, avec environ 12 000 acheteurs inscrits auprès de l’Institut de régulation et contrôle du Cannabis (IRCCA) et les « stocks » s’épuisent rapidement dans les pharmacies de tout le pays. Les propriétaires des pharmacies étaient satisfaits du système qui leur permettait de vendre environ deux kilos de cannabis par jour, et ne mettaient que quatre heures avant d’accrocher l’affiche de stock épuisé.

Mais un mois après que la loi soit entrée en vigueur, les ennuis ont commencé. La Banque Santander a été la première à prévenir les pharmaciens qu’elle fermerait leurs comptes s’ils vendaient du cannabis. Elle soutient qu’il s’agit d’une banque mondiale ayant des clients dans différents pays, elle doit se conformer à toutes les règles locales et ne doit pas inclure de l’argent provenant de l’activité d’une substance interdite dans d’autres endroits.

Cette menace a déclenché l’alarme parmi les pharmaciens autorisés à vendre du cannabis, et certains ont exprimé leur intention de s’éloigner de cette affaire. N’ayant pas accès aux comptes et aux transactions bancaires, ils ne peuvent pas payer les salaires ou effectuer des transactions financières. La présente décision de la part des banques, issue pour la plupart des règlementations de la loi des États-Unis, a pris par surprise les autorités uruguayennes.

Le conflit bancaire vient de l’extérieur des frontières et a confronté les institutions du pays à travailler sans relâche à la recherche d’une solution, car cette situation affecte non seulement les pharmacies et les consommateurs, mais c’est aussi un coup dur pour l’économie nationale qui craint une fuite sans précédents des capitaux. Les conséquences pour le secteur bancaire uruguayen peuvent être néfastes à cause de l’investissement considérable qui a été fait dans ce pays pour l’ouverture légale de la vente de cannabis.

La solution la plus évidente passant par les États-Unis, serait qu’ils parviennent à adopter une loi réclamée par de nombreux activistes et qui permettrait aux banques d’accepter des transactions bancaires de la part d’individus et d’entreprises liées au commerce du cannabis. Mais c’est un problème auquel le gouvernement uruguayen doit faire face à court terme, ou du moins remédier jusqu'à que cette loi arrive.

Le gouvernement met au point un plan permettant d’isoler les pharmacies du système bancaire

L’une des propositions était celle de ne pas expliquer l’origine de cet argent et que les banques aident les commerçants. « D’un jour à l’autre [...] les pharmacies qui vendent du cannabis commenceraient à s’impliquer dans l’hôtellerie, le développement immobilier et la vente de joueurs de football », a expliqué un fonctionnaire de l’exécutif.

L’autre option a été celle d’utiliser une tirelire dans un coin de la pharmacie pour les paiements liés au cannabis. Cependant, la solution la plus plausible jusqu’ici serait celle d’élaborer un plan officiel afin d’isoler ces pharmacies du système financier, créant une figure juridique spécifique pour cette affaire. 

Le problème est de créer des structures qui n’ont aucune relation avec le système bancaire et que les banques acceptent sans entraves. Il est possible que ces choix mènent les pharmacies au même problème et que les banques refusent de gérer leurs comptes, s’ils conservent un système d’encaissement indépendant.

L’Australie, la bureaucratie et le retour au marché noir

La récente légalisation du cannabis pour usage médical dans le sud du continent a laissé derrière elle une montagne de paperasserie et de confusion parmi les médecins, les avocats et les patients. Cet enchevêtrement juridique pousse beaucoup de patients et de familles au marché noir. Les propres médecins ont été contraints de conseiller à leurs patients de se procurer du cannabis par d’autres voies, en raison des difficultés bureaucratiques auxquelles ils font face pour obtenir les ordonnances et le produit de la part de l’administration des biens thérapeutiques (TGA), l’équivalent de la sécurité sociale.

Les médecins australiens sont totalement mal informés sur ce sujet et n’ont aucun guide ou indications pour traiter ces cas. Si le médecin juge opportun de demander un traitement cannabique pour son patient, il doit livrer une série de dossiers contenant une littérature médicale publiée sur le cas et plusieurs rapports de spécialistes. Certaines preuves sollicitées par les organismes de réglementation fédéraux n’existent même pas. 

Les médecins sont débordés face aux demandes du gouvernement dans une matière pour laquelle il n’existe que très peu de preuves, puisque cela fait 90 ans qu’elle est interdite en Australie. Le Docteur Tony Bartone, vice-président de l’Association médicale australienne (AMA), explique qu’ils ont besoin d’informations et de références qu’ils n’ont pas, afin de préparer les traitements et indiquer les concentrations appropriées. Il attribue la situation actuelle à « l’absence de volonté politique » pour mener et compléter les recherches cliniques et les directives réglementaires classiques de quelconque médicament.

Steve Peek, le père de Brisbane dont la fille souffre de crises d’épilepsie sévères, n’a pas eu accès à l’huile de cannabis alors qu’elle fait soi-disant partie des médicaments légalisés. Peek a été obligé de se tourner vers le marché noir pour obtenir le seul produit qui soulage les crises soudaines de sa fille. « Ils disent qu’il a été légalisé, mais ce n’est pas vrai, il est impossible d’en obtenir quoi que vous fassiez. Je ne crois plus au système politique, au gouvernement, au système médical et c’est accablant », témoigne ce père australien.

Les premiers pas de la légalisation du cannabis sont sinueux, mais ils indiquent aux institutions le chemin à prendre. Soit elles assument la vente légale de cannabis en y mettant du leur comme un engagement politique ou cette impulsion sociale ne sera qu’un processus bloqué et purement cosmétique. Les témoignages comme ceux de Peek doivent nous rappeler que le problème est grave et que beaucoup de personnes souffrent de l’incompréhension et de la stigmatisation des entités publiques qui devraient pourtant prendre soin de leur santé et de leur qualité de vie.