Certains le comparent au Mexique, mais depuis les années 70, le Paraguay a augmenté sa production de cannabis devenant ainsi le plus grand producteur et distributeur d’Amérique latine. Sur ses terres fertiles sont plantés entre 6 000 et 7 000 hectares de cannabis de trois ou quatre récoltes annuelles dont la production est principalement distribuée dans des pays comme le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay, tandis que 7 % seulement sont consommés à l’intérieur de ses frontières. Une activité qui pourrait avoir une incidence positive sur l’économie d’un territoire aux grandes inégalités socioéconomiques est malheureusement contrôlée par des commerçants illégaux et soutenue par des politiciens corrompus.

Les paraguayens ont commencé à cultiver du cannabis à la fin des années 60. Ce qui commença comme quelques récoltes à petite échelle, près de la frontière du Nord-Est avec le Brésil, est devenu un système de culture qui fournit à l’heure actuelle du cannabis pressé au Brésil, en Argentine et en Uruguay. Actuellement, pas moins de 6 000 à 7 000 hectares sont plantés en trois récoltes annuelles, et répondent aux besoins de la quasi-totalité de l’Amérique du Sud. 

Malheureusement, dès le début, les cultures étaient déjà entre les mains d’un pouvoir central corrompu qui les utilisait pour obtenir un financement illicite. Un flux d’argent géré par des caudillos au niveau local qui ont suscité la création d’un réseau mafieux lié au commerce illégal, soutenu par une demande régionale croissante et une structure de production de plus en plus stable.

L’activité, par ailleurs, ne récompense pas ceux qui se chargent de la maintenir : les paysans paraguayens ne reçoivent pas un salaire proportionnel à leur travail en raison des inégalités sociales et du faible contrôle gouvernemental de ce pays. Les abus et les meurtres entourent ce réseau illégal qui se développe sans que les dirigeants se battent pour défragmenter et légaliser une production qui pourrait grandement contribuer à accroître la richesse du pays.

À ce constat accablant, s’ajoutent les conflits entre organisations criminelles qui se battent pour le contrôle des frontières, les dirigeants politiques et le développement de graines modifiées pour multiplier la production. L’auteur de la recherche « La terre cachée : examen du plus gros producteur de cannabis d’Amérique du sud », le journaliste Guillermo Garat, a déclaré dans une interview sur la BBC « le panorama est très triste ». Et il soulignait que « les paysans sont dans une situation d’extrême pauvreté et l’affaire est contrôlée par les brésiliens ». Les principales organisations sont Primer Comando Capital et Comando Vermelho, qui opèrent dans le nord du Paraguay.

Le rapport de Garat met en évidence les raisons qui ont causé et qui entretiennent cette situation : « Le manque de politiques agricoles, la pauvreté, la faiblesse et l’absence de perspectives pour la population rurale ont permis que peu à peu et avec de moins en moins de discrétion, les jeunes agriculteurs se joignent à la culture du cannabis gérée par des « associés », tels que les appellent les intermédiaires qui achètent la récolte ». Ces personnes commercent ensuite avec les grands acheteurs responsables de la distribution du produit en dehors des frontières paraguayennes.

Bénéfices dans de mauvaises mains

Selon les derniers rapports des autorités de ce pays, un demi-siècle après le début des cultures, la production de cannabis est présente dans huit départements au nord et dans le centre du pays, ce qui révèle que huit familles sur dix vivent de la production de la plante. Cependant, très peu de son potentiel est reversé sur le territoire, puisqu’environ 80 % de la production de cannabis, cultivé et pressé par les agriculteurs paraguayens, sont directement vendus à des organisations criminelles brésiliennes (seulement 5 % sont dédiés à la consommation interne).

La voie navigable est un élément clé pour le fonctionnement du réseau de distribution, le système de navigation par les rivières Paraguay, Paraná et leurs affluents, qui commence à Puerto Cáceres (sur la frontière avec le Brésil) et se termine à Nueva Palmira en Uruguay. 3 442 kilomètres de voies fluviales navigables par lesquelles sont transportées de grandes quantités de marchandises variées, y compris du cannabis. 

L’activité commerciale est presque incessante, puisque la récolte dépasse les quantités normales en raison du type de graines mises au point par les producteurs. Si on récolte habituellement deux plantations de cannabis par an, avec ces graines améliorées, on obtient trois ou quatre récoltes par an. On estime approximativement qu'entre 2 000 et 3 000 kilogrammes de cannabis par hectare sont cultivés. Ces graines sont aussi moins perceptibles pour l’odorat des chiens policiers. 

Si nous examinons la distribution du chiffre total, environ 80 % du cannabis arrive au Brésil, principalement à São Paulo et à Rio de Janeiro, tandis que le reste finit en Argentine et au Chili. Pendant le transport le prix du chargement change de manière étonnante : alors qu’un producteur touche généralement environ 30 dollars par kilogramme (près de 28 euros), la valeur est multipliée par dix quand il traverse le fleuve et atteint la frontière. Les villes de Corrientes et Formosa collectent la marchandise pour ensuite continuer la chaîne logistique, et la transporter vers d’autres pays, où se poursuivra la commercialisation. De l’autre côté de la cordillère, le kilo de cannabis peut coûter plus de 2 800 dollars (environ 2 644 euros).

Mais cette explosion du prix du cannabis au Paraguay ne peut s’expliquer sans les accords cachés entre commerçants et hommes politiques. Certains experts sont arrivés à comparer cette situation avec celle qui s’est produite au Mexique à la fin du siècle dernier. À cette époque, les pouvoirs publics et les forces de sécurité de l’état d’Amérique centrale ont commencé à être influencés par les narcotrafiquants qui dominaient le trafic dans le pays.

Le sénateur paraguayen Arnaldo Wiens a admis, dans une interview lors des investigations de Garat, que malheureusement « la démocratie au Paraguay repose sur de nombreuses activités illégales ». La protection politique est récompensée par de l’argent investi, la plupart du temps, dans des campagnes électorales. 

D’autre part les (quelques) politiques de lutte contre la drogue au Paraguay se sont également avérées inefficaces. « L’usage s’est accru, l’abus et le trafic aussi et la pénétration des groupes de narcotrafiquants dans les trois pouvoirs de l’état, les entreprises privées et dans des parts croissantes de la société », indique Garat dans son rapport.

La militarisation et la répression contre les producteurs, les utilisateurs et les trafiquants n’ont pas porté leurs fruits, « au contraire, la cause s’est aggravée et les gros trafiquants brésiliens et paraguayens sont les seuls à gagner » avertit Garat. D’après le journaliste, la seule voie possible, loin de l’immobilité absolue, serait celle d’impliquer les communautés rurales grâce à des alternatives durables et inclusives dans lesquelles la jeunesse rurale ferait partie de la solution. Une solution loin des oppressions et plus près d’un consensus qui convertirait la culture et le commerce du cannabis en une activité économique bénéfique pour le pays et ses habitants.