En décembre dernier, en plus de rendre une décision d’amparo à cinq membres de l'Association Cannabique Ebers, la Cour constitutionnelle espagnole a annulé les lois forales de Navarre qui régulent les groupes d'usagers de cannabis dans la région autonome. Cependant, la plateforme Regulación Responsable est prête à faire appel devant la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg.

L'année 2017 n'a pas eu une fin très prometteuse pour les usagers de cannabis, ni pour le mouvement associatif cannabique espagnol. Les clubs sociaux de cannabis ont augmenté en nombre dans le pays voisin depuis le début du siècle, surtout après que l'Audience provinciale de Biscaye ait considéré que leur activité était légale en 2006. Cette position a servi à encourager la création de nouvelles associations sur tout le territoire espagnol, couverts par l’ambiguïté du Code Pénal espagnol sur le sujet et le laxisme avec lequel de nombreux tribunaux et Audiences provinciales semblaient se pencher sur la consommation partagée.

Cependant, en décembre dernier, un coup important a été porté à ces associations. Le 19 décembre, la Cour Constitutionnelle a rendu une décision d’amparo à cinq membres de l'Association de Bilbao Ebers, déjà déclarés coupables par la Cour Suprême. Bien que la décision puisse sembler assez bonnes, la réalité est un peu différente. La Cour a justifié sa position en faisant valoir qu’ils avaient violé le droit à la défense des condamnés, mais ils défendent l'interprétation de la Cour Suprême disant qu'elle était « correcte, prévisible et proportionnées » et que le Code Pénal n'est pas suffisamment clair sur l’illégalité des associations.

Toutefois, l’organe ne s'est pas prononcé sur la situation juridique des clubs, ni précisé les exigences devant être remplies pour agir légalement. Et ce, malgré l’admission de l’appel, le tribunal a fait remarquer que cette sentence posait « une question juridique d'une répercussion économique et sociale générale et pertinente » et que cela donnait l’occasion d' « éclaircir ou changer la doctrine » après un « processus de réflexion interne ».

Et si cette conduite évasive n'était pas suffisante, seulement deux jours après avoir rendu cette décision, la Cour Constitutionnelle espagnole annulait la Loi 24/2014, qui régulait les groupes d'usagers de cannabis en Navarre. Le ministère public avait présenté un recours contre cette régulation, alléguant qu'elle empiétait sur les compétences de l'Etat en termes de législation sur les produits pharmaceutiques, la sécurité publique et la législation pénale. Pendant ce temps, le Parlement de Navarre défendait que la loi était constitutionnelle, car la région est compétente en matière d'associations.

Après avoir étudié le cas, le tribunal a abrogé la loi, affirmant qu'elle débordait sur les compétences de l'Etat en matière de législation pénale, en régulant la consommation, l'approvisionnement et la distribution de cannabis, une chose directement reprise par plusieurs articles du Code Pénal espagnol. De plus, la sentence indique qu'il ne peuvent pas accepter une loi « dont le but est, comme on peut le déduire vu le titre, de donner une couverture légale à des comportements que le législateur pénal considère comme délictueux ». Un argument qui peut aussi être utilisé pour abolir les lois basques et catalanes.

Ainsi, si la Cour Suprême confirme sa position, c'est-à-dire que les clubs de cannabis ont enfreint le Code Pénal, et que la Cour Constitutionnelle renforce sa position, les deux organes mettront ensemble un terme à un débat démocratique sur la situation des groupes de consommation partagée. Dans cette conjoncture, le seul organe national qui pourrait légiférer sur ces associations serait le Congrès des Députés et, pour cela, ils devraient réformer le Code Penal.

Pour attirer l'attention de Strasbourg

Au vu des événements, la plateforme Regulación Responsable, qui regroupe plusieurs associations et qui préconise un changement législatif, a annoncé son idée de continuer par tous les moyens possibles la batalle juridique et de faire appel devant la Cour Européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Comme l'annonçait le groupe, il le fera une fois que le Tribunal Suprême aura pris position, en écoutant les accusés, ou en les acquittant.

Si elle venait à aller jusqu'à Strasbourg, l'initiative constituerait, comme le signalait son porte-parole Bernardo Soriano en conférence de presse, le premier appel sur la régulation du cannabis porté au niveau européen. L'objectif est de pousser le tribunal européen à se prononcer sur la viabilité et sur les conditions et obligations que doivent respecter les clubs cannabiques en Espagne, dans l'espoir de remettre le débat à l'heure du jour dans le pays.

 

Bernardo Soriano a déploré que la Cour Constitutionnelle ait raté l’occasion d’établir des critères clairs sur ces questions et, qu'au lieu de cela, ils aient nourri avec leur décision une insécurité juridique et de l'instabilité pour les associations de consommation collaborative communautaires.

La Plateforme Regulación Responsable garde l'espoir que l'appel porté devant la Cour de Strasbourg porte ses fruits et serve de « mesure de pression » pour faire changer les politiques sur l'usage du cannabis en Espagne. Bernardo Soriano considère qu'il est difficile que les régions autonomes puissent réguler des matières comme celles-ci, qui sont en réalité des compétences de l'État, et souhaite encourager les accords politiques afin d'obtenir un accord de l'Etat qui mène, à la fin, à une régulation complète du cannabis.

Au-delà de la sentence de l'association Ebers, la Cour Constitutionnelle devra bientôt statuer sur les appels présentés par le Gouvernement espagnol sur deux autres associations de cannabis, Three Monkeys et Pannagh. Au mois de mars 2015, les Audiences Provinciales de Biscaye et de Barcelone acquittaient, respectivement, quatre membres du groupe de Bilbao Pannagh et trois responsables de l'association barcelonaise Three Monkeys. Les deux clubs auront une nouvelle occasion de démontrer leur innocence en 2018, même si, comme le signalait Bernardo Soriano, le dénouement pourrait ressembler fortement à ce qui était arrivé avec Ebers.

La tache sur un panorama prometteur

Les dernières décisions prises par le Tribunal contrastent avec les avancés obtenues en matière de régulation et l'appui politique quant aux mouvements cannabiques et les clubs pendant les dernières années et, particulièrement, en 2017.

Les associations de consommation de collaboration ont mûri depuis 2010 et ont été témoins d'initiatives des gouvernements catalans, basques et navarrais pour réguler leur activité, de plus en plus acceptée aussi bien nationalement qu'internationalement. D'autre part, les données annuelles du Plan National Sur les Drogues révèlent que les personnes étant en faveur d'une régulation de l'utilisation de cannabis sont de plus en plus nombreuses. 

L'été dernier, la plateforme Regulación Responsable indiquait que nous n'avions « jamais été aussi proche d'un régulation » du cannabis en Espagne dans un acte tenu à l'occasion de l'initiative ManiFiestaAcción. Pendant cet événement, dont l'objectif était de réclamer la légitimation de l'utilisation du cannabis, des militants de partis comme Ahora Madrid, Ciudadanos et Podemos étaient présents.

La présence des principales forces politiques lors de cet acte était une preuve de plus que le cannabis était entré dans le débat politique. Quelques mois plus tôt, le parti d’Albert Rivera présentait au Congrès une proposition non de loi (PNL) pour réglementer l’usage thérapeutique du cannabis ainsi que les prescriptions, la culture et la vente de cannabis. Une fois l'initiative étudiée, et soutenue par l'Observatoire espagnol du Cannabis Médicinal, la création d'une sous-commission pour analyser une possible réglementation avait été proposée.

Esquerra Republicana de Catalunya, qui avait déjà présenté sa propre PNL en 2016, et Unidos Podemos ont reçu l'idée à bras ouverts, au point que le groupe a aussi présenté une initiative semblable pour une réglementation intégrale du cannabis. Et bien que les formations les plus conservatrices comme le PNB et le Parti Populaire n'aient pas voté en faveur de la proposition de Ciudadanos, ils n'ont pas non plus voté contre. Le PSOE a même annoncé sa volonté de rédiger un document pour étudier une régulation complète de la consommation du cannabis à des fins récréatives et médicinales. 

Au niveau regional, certains hommes politiques en faveur d'une régulation dans régions autonomes comme l'Andalousie, Madrid, la Cantabrie et les Canaries, où vers le milieu de l'année dernière les parlements ont ressenti le besoin de prendre des mesures pour mettre fin à l'insécurité juridique dans laquelle se trouvent les usagers et les clubs cannabiques. Mais, comme le signalait Bernardo Soriano, même si les lois votées par les régions n'avaient pas une incidence au niveau national - puisqu'ils n'ont pas les compétences nécessaires pour légaliser l'usage du cannabis, en effet ils n'ont qu'une capacité partielle pour réguler quelques activités, comme la consommation thérapeutique ou la situation des clubs de cannabis. Ou du moins ils semblaient les avoir avant décembre. 

En Espagne, il existe des centaines de clubs cannabiques éparpillés sur tout le territoire, beaucoup d'entre eux en Catalogne. Selon la Fédération des Associations Cannabiques Autorégulées de Catalogne, la ville en héberge environ 400, tandis qu'au Pays Basque et à Madrid le chiffre est d'environ 100. Son futur peut être influencé tant par la position adoptée par la Cour Suprême envers les membres d'Ebers que par la position de la Cour Constitutionnelle face aux appels des Three Monkeys et Pannagh et les lois basques et catalanes. Pour connaître leurs décisions, nous devrons malheureusement encore attendre.