La crise économique post-confinement pourrait être l’occasion idéale pour légaliser le cannabis en Espagne, selon l’économiste Pau Teruel dans cette interview.

La longue période de confinement a finalement réussi à inverser la courbe de propagation du Covid-19, mais il a également laissé l’économie espagnole au bord du gouffre. Des milliers d’entreprises ont été contraintes de fermer et des centaines de milliers de travailleurs ont été forcés au chômage partiel ou complet.

Ces problèmes économiques sont peut-être une occasion en or pour faire avancer et clarifier la situation légale du cannabis en Espagne, coincée entre la tolérance sociale, l’insécurité juridique et le comportement arbitraire des forces de l’ordre envers les clubs sociaux de cannabis, la partie visible de l’énorme marché du cannabis.

Un récent rapport de l’agence Teruel, dont le siège est à Barcelone, et réalisée par le cabinet d’avocats DMT Advocats, souligne l’énorme potentiel économique et de création d’emploi que la régularisation du cannabis entraînerait. Selon eux, la légalisation pourrait créer 50 000 emplois directs (8100 en Catalogne, 7200 à Madrid et 2300 au Pays basque), en plus de contribuer à renflouer les caisses de l’État avec pas moins de 350 millions d’euros par an en TVA et 20 millions d’euros de cotisations sociales supplémentaires.

Nous avons eu la chance de discuter avec Pau Teruel, auteur de l’étude mentionné précédemment. Son agence conseille environ une quarantaine d’associations et clubs de cannabis en Catalogne depuis plus de dix ans, au point d’avoir même un service dédié exclusivement à ce type d’activités.

Comme nous l’explique Pau Teruel dans cet entretien téléphonique, « la plupart des gens qui montent un club social de cannabis ne peuvent pas exercer leurs activités normalement, car le secteur n’est pas ou peu réglementé ». Par exemple, « imaginez qu’une association ne paie pas de TVA et qu'au bout de cinq ans le Trésor Public le vérifie. Cela pourrait conduire le gérant devant les tribunaux et ruiner ses abonnés.

L’un des principaux problèmes causés par cette insécurité juridique actuelle autour du cannabis et ses dérivés est que certains clubs payent la TVA comme tous les autres au Trésor public, mais leurs dépenses ne peuvent pas être déduites, « ce qui représente 50 % de la facturation. Si le gramme de cannabis est vendu, disons… dix euros, cinq euros sont des dépenses (culture, transport, location du local, électricité, eau...), mais de nombreuses associations ne les déduisent pas, par peur que la police ne localise leur plantation ».

Ces dépenses non déduites constituent une économie underground, un manque à gagner « qui devrait émerger et faire partie du PIB », selon Pau Teruel. L’étude économique des associations, du développement et des perspectives du cannabis (2019-2020) inclut trois exemples de l’impact de la légalisation du cannabis sur différents territoires : la Californie, le Canada et Israël.

Suite à la légalisation du cannabis dans l’État avant-gardiste de Californie en 2016, le cannabis et ses dérivés génèrent un chiffre d’affaire compris entre 15,9 et 20,2 milliards de dollars et entre 1,2 et 1,5 milliards de dollars à l’État sous forme de taxes à la consommation, avec une TVA à 7,5 %, c’est-à-dire environ trois fois qu’en Espagne, actuellement fixée à 21 %.

Le cannabis médical

Le cas d’Israël, devenu une référence mondiale dans l’exportation de cannabis médical, est aussi très intéressant. Comme l’explique Pau Teruel, non seulement le gouvernement ne réprime pas les entreprises de production, mais il a même « investi 43 millions d’euros dans des start-ups de cannabis médical ».

Le modèle israélien pourrait parfaitement être appliqué à l’Espagne, à la fois en raison du climat privilégié et en raison du savoir-faire indéniable de l’industrie du cannabis espagnole, une référence sur le continent européen, devançant même les Pays-Bas depuis quelques années, comme l’affirmait l’entrepreneur Brais Nieto dans une récente interview.

Mais alors, pourquoi les politiciens ne se bougent-ils pas plus ? Pourquoi le cannabis est-il toujours dans un vide juridique, à la merci des juges et de la police ? Pau Teruel préfère ne pas s’impliquer dans la politique, c’est pourquoi il détourne la question vers son collègue avocat, Martí Cànaves, de DMT, que nous avons également interviewé pour LaMota la semaine dernière : « L’interdiction génère certainement plus de travail que la drogue elle-même ».