Il y a de plus en plus d’endroits où, dans l’objectif de protéger la santé et la sécurité des citoyens, les politiques sur les drogues commencent à changer et le débat sur la légalisation du cannabis apparaît. Le prohibitionnisme a échoué, depuis des années, et c’est pour cela que le Colorado, Washington, l’Alaska, l’Oregon ou l’Uruguay ont fait de grands pas en avant vers la légalisation, mettant fin aux marchés criminels et augmentant la défense du consommateur. Mais que ce passe-t-il en Europe ? Ici, la situation n’est pas aussi réjouissante, en dépit des fortes luttes menées par les groups locaux pour la régularisation rêvée.

« Alors que les politiques cannabiques en Amérique sont en plein décollage, l’Europe semble être restée en arrière ». C’est la conclusion du dernier rapport sur le cannabis en Europe ('Cannabis policy reform in Europe') du Transnational Institute. D’après ce document, cette lenteur du Vieux Continent pour élaborer des politiques nouvelles en matière cannabique conduit à ce que, dans certains pays, quelques autorités locales et régionales soient à la recherche de leur propre voie pour atteindre la régularisation. 

Cependant, la situation est complexe, puisque les politiques des États membres de l’Union Européenne dépendent des traités de fiscalisation des drogues de l’ONU, lesquelles restreignent le cannabis à des domaines exclusivement médicaux et scientifiques. Quoiqu’il en soit, la situation en Europe est aussi variée que les pays qui la composent. 

Pays Bas

La Hollande a toujours fait preuve d’exemplarité en matière cannabique, mais ces dernières années, les choses sont en train de changer et le pays revient en arrière en termes de régularisation. Tandis qu’acheter ou posséder de petites quantités de cannabis n’est pas un délit aux Pays-Bas, sa culture et sa commercialisation sont très restreintes, une contradiction qui a entraîné des problèmes pour le modèle de 'coffee shops' hollandais, mais qui existait dès les origines. Plusieurs gouvernements depuis 1995 ont essayé de réviser cette légalisation jusqu’au point d’envisager que la consommation et la possession de cannabis pour usage personnel ne doivent pas être traitée au niveau pénal. 

Cependant, cette question a à peine été entendue, et la volonté de réforme a même été boycottée à plusieurs reprises, au sein de l’Union Européenne, ce qui a généré des conséquences négatives pour la 

Hollande, conséquences qui se sont aggravées avec les derniers gouvernements – conservateurs – qui se sont totalement opposés à la réforme politique en matière cannabique et qui sont allés jusqu’à faire reculer le pays sur cette question.

Danemark

Entre 1969 et 2004, la possession de jusqu’à dix grammes de cannabis pour usage personnel n’était pas un délit au Danemark. Les autorités fermaient plutôt les yeux sur les ventes de cannabis à petite échelle. Cependant, depuis qu’un gouvernement néolibéral est arrivé au pouvoir en 2001, les politiques et lois cannabiques se sont durcies, la possession de cannabis s’est criminalisée et les amendes se sont multipliées depuis 2007. 

La répression policière a elle aussi augmenté sur la base d’une politique de « tolérance zéro », favorisant l’émergence de nouveaux acteurs sur le marché noir, lesquels ont gagné non seulement des adeptes mais aussi un soutien financier. D’après plusieurs études, en 2004, lorsque les mesures se sont multipliées, on a relevé plus d’assassinats et de tentatives d’assassinats qu’au cours des cinq années précédentes. On a même commencé à assister à des échanges de tirs (du jamais vu jusqu’alors dans ce pays), liés au marché illégal de cannabis. 

C’est à cause de ce genre de faits divers que la mairie de Copenhague a décidé de voter, en 2009, certaines mesures permettant la vente de cannabis thérapeutique dans des dispensaires (uniquement aux résidents). Malgré cela, à l’heure actuelle, presque tout le marché du cannabis à Copenhague, dont le volume est estimé aux alentours de 200 millions d’euros, est entre les mains des mafias.

Allemagne

Après des années de silence, le débat sur la régularisation du cannabis est revenu sur la table en 2013, lorsque Monika Herrmann, la maire du district de Kreuzberg (Berlin) et membre du Parti Vert, a annoncé la mise en marche d’un projet pilote pour la création de boutiques où serait vendue du cannabis (avec des agents de sécurité et des vendeurs ayant une formation médicale) pour faire face au trafic de drogues croissant dans le pays. 

Certains politiciens du parti ont insisté pour appeler ces boutiques « points de vente » et ainsi les différencier des 'coffee shops' : l’idée est d’y vendre entre trois et cinq grammes de cannabis par client. Les districts de Cologne, Hambourg et Francfort ont voulu se joindre à l’initiative et ont commencé à débattre, même s’ils devront tous, comme le stipule la loi, démontrer les visées scientifiques de leur projet.

D’un autre côté, depuis quelques années, des initiatives parlementaires des verts et de partis de gauche se concentrent autour de la question des clubs sociaux, laquelle ne progresse malheureusement pas, puisque les principaux partis bloquent toute tentative de réforme. Cette situation a conduit des groupes de professeurs allemands de droit pénal à s’unir pour exiger la dépénalisation de la vente et de la possession de cannabis, argüant que la persécution pénale des consommateurs était inefficace. 

Espagne

En Espagne, la question cannabique tourne autour de l’initiative d’ouverture de clubs sociaux de cannabis basée sur la dépénalisation de la culture pour usage personnel (même s’il existe des sanctions administratives en cas de consommation dans des lieux publics). Cependant, le vide légal existant ne précise pas clairement comment les réguler, et les membres de ces clubs sont par conséquent dans une constante situation d’inquiétude, mêlée d’impuissance : les descentes de police dans les clubs et leurs plantations sont relativement habituelles. Leurs représentants ont donc plusieurs fois demandé une régulation qui puisse mettre un terme à l’incertitude et leur permette ainsi de fonctionner sans peur. 

Au Pays Basque, en Catalogne ou en Andalousie, les gouvernements locaux essayent de réguler ces clubs dans les limites fixées par la loi nationale. Cependant, le gouvernement central conservateur a instauré des limites au droit d’association, considérant que certaines organisations dédiées à la distribution de drogues pourraient se dissimuler derrière la vitrine juridique que représentent ces clubs cannabiques. Des arguments vis-à-vis desquels les secteurs les plus progressistes se sont toujours opposés, estimant que ces clubs essaient précisément de fuir l’illégalité et les actions illégales

Une étude a calculé que les Espagnols dépensent 1 milliard 163 millions d’euros par an en cannabis. Si toutes les ventes étaient sujettes à la TVA, elles génèreraient 200 millions d’euros de rentrées fiscales et pourraient créer jusqu’à 40 000 postes de travail. 

Belgique

Entre 2003 et 2004, plusieurs lois ont réduit les peines pour possession de cannabis en Belgique. Un modèle plutôt tolérant dans ce pays qui, malgré tout, dérive ces derniers temps vers toujours plus de répression. En 2013, le parti national flamand (Nouvelle Alliance Flamande) d’Anvers a mis en place des sanctions administratives et des amendes pour possession de cannabis, et en 2014, cette politique s’est généralisée à l’échelle nationale. 

Comme en Allemagne, plusieurs universitaires ont uni leurs voix pour évaluer de manière critique les risques et les bénéfices apportés par le cannabis, avec un argument fort : la répression actuelle coûte 400 millions d’euros par an.

Suisse

En 2001, le gouvernement suisse a voulu autoriser la possession et l’usage de cannabis sur un marché régulé, mais la proposition (issue du ministère de la Santé) a été bloquée au Parlement. La Chambre Haute a voté en faveur de la dépénalisation de la consommation personnelle (comme déjà plusieurs fois par le passé), mais la Chambre Basse a mis son véto. Cette décision a provoqué la mobilisation, en l’an 2000, d’agriculteurs et d’activistes qui ont recueilli des signatures en vue d’organiser un referendum, mais ils n’ont alors pas obtenu le soutien nécessaire. 

En octobre 2013, le cannabis a été dépénalisé : la possession de dix grammes a été autorisée en vue de réduire les cas portés devant les tribunaux suisses (environ 30 000 par an). Malgré cela, les groupes en faveur de la légalisation considèrent que la loi est encore trop dure. 

France

La France dispose des lois les plus sévères d’Europe concernant le cannabis, malgré la consommation élevée dans ce pays. De fait, le cannabis est la substance illégale la plus consommée dans l’Hexagone : 42 % de la population reconnaît l’avoir essayée une fois dans sa vie. Mais l’usage et la possession de « drogues illicites » est un délit pénal, et la loi ne distingue pas entre la possession pour usage personnel ou le trafic. 

En 2010, on a relevé 157 341 infractions liées aux drogues et 87,5 % concernaient le cannabis, des chiffres qui ont motivé plusieurs initiatives pour réguler le marché de cannabis et, entre 2011 et 2014, certains groupes ont réclamé la légalisation contrôlée de la consommation et de la culture de la plante. Leurs propositions n’ont cependant pas obtenu de soutien significatif. 

Pourtant, c’est maintenant que commence à apparaître un mouvement citoyen, basé sur les implications sociales de l’interdiction. Les associations d’immigrés ont été les premières à sortir dans les rues pour dénoncer que cette répression affecte particulièrement les minorités ethniques qui vivent sur le sol français. Cette mobilisation a été menée avec la collaboration du conseiller représentant des Associations Noires et du groupe République et Diversité, sous le slogan « Guerre contre les drogues, guerre raciale », qui incite à « sortir de l’impasse de la prohibition, s’exprime en faveur de la dépénalisation de l’usage des drogues et pour la mise en marche d’un accès légalisé et contrôlé, avec des normes adaptées pour chaque produit ».

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D’après des informations tirées de Tni.org